Renforcer les systèmes de santé face aux comorbidités : bilan de 4 années d’action au Mali, au Burkina Faso et aux Comores

Depuis 2021, Santé Diabète mène un projet ambitieux au Mali, au Burkina Faso et aux Comores.  L’objectif : améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le diabète, le VIH et la tuberculose, en proposant une prise en charge intégrée de ces maladies, souvent liées entre elles.

Pendant quatre ans, ce projet a rassemblé des professionnels de santé, des associations, les ministères, et les communautés pour construire ensemble de nouvelles façons de soigner et de prévenir.

Les réalisations :

  • Renforcer les compétences des professionnels de santé pour mieux soigner les comorbidités

Pour renforcer les compétences des soignants, des curricula ont été construits et adaptés à chaque pays, grâce à une collaboration entre experts en endocrinologie, pneumologie et infectiologie des trois pays. Les premières sessions de formation ont rapidement fait apparaître un besoin spécifique : celui de distinguer les contenus selon les profils professionnels. Ainsi, deux curricula distincts ont été développés : l’un pour les médecins, l’autre pour les infirmiers et paramédicaux, chacun adapté aux réalités et aux besoins des systèmes de santé nationaux.

Ainsi, près de 400 professionnels ont été formés via des modules théoriques et du compagnonnage clinique. Cette dynamique a permis d’améliorer le suivi de plus de 700 patients vivant avec des co-pathologies.

Compagnonnage des médecins et infirmiers spécialisés dans la prise en charge des patients atteints de diabète, tuberculose et VIH, à la Grande Comore, en septembre 2024.

 

  • Une approche communautaire innovante

L’approche communautaire a été l’un des piliers du projet, reposant sur une implication active des patients dès la conception des outils. Des supports de prévention et d’éducation thérapeutique ont été construits avec les patients, en tenant compte de leur réalité, de leurs besoins et de leurs pratiques de santé.

Un réseau de 48 patients pairs éducateurs (PPE) a été formé pour mener des actions de sensibilisation, d’orientation et d’accompagnement. Leur mission : informer, orienter et soutenir leurs pairs vivant avec le diabète, le VIH ou la tuberculose. Grâce à leurs interventions :

  • 32 000 personnes vivant avec le VIH ont été sensibilisées aux risques liés au diabète, dont 3 500 ont été orientées vers les Maisons de la prévention du diabète pour un accompagnement individualisé ;
  • 13 500 personnes atteintes de diabète ont été sensibilisées à la prévention du VIH et de la tuberculose, dont 1 500 ont été orientées vers un centre de dépistage du VIH.

Les Maisons de la prévention du diabète, créées ou renforcées dans chaque pays, ont joué un rôle essentiel pour accueillir, informer et accompagner les patients.

« Grâce aux animations faites par les pairs éducateurs au Centre Médical de Pissy où je suis suivie pour le VIH, j’ai reconnu les signes du diabète. J’ai pu être orientée vers un diabétologue par la Maison de la prévention, et être soignée rapidement. Aujourd’hui, je gère mieux les deux maladies et j’anime à mon tour des causeries pour aider d’autres patients. » Patiente bénéficiaire, Burkina Faso.

 

Formation de recyclage des patients pairs éducateurs sur les comorbidités, en septembre 2023 au Mali

 

  • Renforcer les acteurs institutionnels et associatifs pour un objectif commun

Au démarrage du projet, de nombreux acteurs institutionnels et communautaires méconnaissaient les liens entre le diabète, le VIH et la tuberculose, ainsi que les implications concrètes de ces comorbidités sur les systèmes de santé. Pour combler cette lacune, une note de travail a été élaborée dans chaque pays, dressant un état des lieux et identifiant les enjeux spécifiques liés à l’intégration des trois pathologies.

Ce document a servi de base à un travail de sensibilisation et de renforcement des capacités impliquant les ministères de la Santé, les programmes nationaux VIH, tuberculose et diabète, les Country-Coordination Mechanism (CCM, structure nationale coordonnant les demandes de financement auprès du Fonds mondial), les hôpitaux, les associations de patients, les ONG locales et les cellules sectorielles VIH/SIDA, tuberculose et hépatites.

Cette mobilisation multi-acteurs a permis de poser les bases d’une gouvernance plus intégrée, de construire des messages communs, et de renforcer le plaidoyer aboutissant à une prise en compte des comorbidités diabète/VIH et diabète/tuberculose dans les subventions du Fonds mondial, mais aussi dans les documents stratégiques nationaux de chaque pays.

Les défis rencontrés : une dynamique fragilisée et des obstacles à surmonter

Pendant un an, le projet a progressé de manière harmonieuse dans les trois pays. Mais fin 2022, un tournant majeur est survenu : au Mali, les autorités ont annoncé l’arrêt des financements publics français (communiqué N°042 du Gouvernement). Le projet, soutenu par le groupe Agence Française du Développement, doit donc y être suspendu. Si cette décision a entrainé l’arrêt total des actions au Mali, elle n’a pas brisé l’élan : au Burkina Faso et aux Comores, l’équipe s’est réorganisée pour consolider les acquis, ajuster les stratégies et capitaliser sur les avancées.

Mais sur le terrain, d’autres obstacles structurels sont apparus. L’intégration des comorbidités ne peut être effective que si les pays disposent d’une offre de soins fonctionnelle et de qualité pour chacune des pathologies concernées. Or, si la plupart des pays bénéficient d’un système VIH solide, les dispositifs de prise en charge du diabète restent souvent fragmentaires, sous-financés et inéquitables. Ce déséquilibre est criant pour les patients vivant avec une double pathologie : alors que le traitement du VIH est gratuit, celui du diabète (insuline, antidiabétiques oraux, lecteurs de glycémie, bandelettes de test) reste presque entièrement à la charge des patients dans des contextes où la Couverture Sanitaire Universelle est quasi inexistante. Ce manque d’accès constitue un frein majeur à la continuité des soins et à l’efficacité de toute approche intégrée.

Bien que le projet ait permis d’inscrire les comorbidités dans les subventions du Fonds mondial, leur prise en compte reste marginale, car ces enjeux sont encore perçus comme secondaires par le bailleur, malgré les plaidoyers menés dans chaque pays et l’ampleur réelle du besoin.

Ce constat renforce plus que jamais la nécessité d’un plaidoyer ciblé, coordonné et régional pour faire des comorbidités une priorité des politiques publiques et des bailleurs.

Réunion de concertation sur la prise en charge des comorbidités diabète/TB diabète/VIH dans la subvention pays du Fonds Mondial, en présence du Ministère de la Santé et du CCM-Comores, en septembre 2024

La suite du projet : amplifier l’impact et lever les freins

L’année 2025 marquera une avancée importante : pour la première fois, les subventions du Fonds mondial incluront la prévention et la prise en charge des comorbidités diabète/VIH et diabète/tuberculose dans les trois pays du projet.

Santé Diabète accompagnera cette mise en œuvre en apportant son expertise technique, ses outils de formation, et un appui à la structuration de dispositifs de soins plus intégrés et communautaires. En parallèle, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et de l’océan Indien ont exprimé leur volonté de reproduire l’expérience. Inspirés par les présentations faites à l’AFRAVIH (Alliance Francophone des Acteurs de santé contre le VIH et les infections virales chroniques) et aux colloques régionaux, ils sollicitent aujourd’hui l’appui de Santé Diabète pour initier des projets similaires.

Mais cette avancée soulève aussi une exigence : répondre aux défis systémiques mis en lumière par le projet. Notamment l’absence d’accès aux médicaments et matériels essentiels pour le diabète, frein majeur à une véritable intégration. C’est pourquoi Santé Diabète poursuivra son plaidoyer à deux niveaux :

  • Auprès du Fonds mondial, pour qu’il élargisse son champ d’action aux intrants du diabète dans les situations de comorbidité.
  • Auprès des États, pour inscrire durablement la prise en charge du diabète dans les dispositifs de Couverture Sanitaire Universelle (CSU).

Notre ambition pour la suite est donc claire : étendre l’impact à toute la région, renforcer les modèles existants, et faire des comorbidités une priorité collective de santé publique en Afrique.

 

par Moïse Nguemeni, directeur technique de Santé Diabète